VAN GOGH (V.)

VAN GOGH (V.)
VAN GOGH (V.)

Bien qu’il ait manifesté dès l’enfance des dispositions pour le dessin, Van Gogh ne s’est engagé dans la peinture qu’à l’âge de vingt-sept ans, après une série d’expériences professionnelles et humaines qui furent pour lui autant d’impasses. Sur les dix années qui lui restaient à vivre, huit environ peuvent être considérées, en dépit de la qualité des œuvres qui en émanent, comme une période d’apprentissage, de découvertes et de maturation où les influences extérieures jouent un rôle déterminant. La véritable personnalité artistique de Van Gogh s’est dessinée subitement à la fin de son séjour parisien, pour s’affirmer au contact de la lumière du Midi, lors de son installation en Arles: en deux ans, et à travers quelque trois cent cinquante tableaux (sur un peu plus de sept cents au total), Vincent allait devenir l’une des figures majeures de l’histoire de la peinture, le précurseur, notamment, des fauves et de l’expressionnisme.

Indissociable de son œuvre, la vie de Van Gogh nous est principalement connue grâce à l’admirable correspondance que l’artiste échangea, pendant dix-huit ans et jusqu’au dernier jour, avec son frère Théo dont l’affection et le soutien ne lui furent jamais comptés: elle témoigne du combat intense et désespéré livré par un esprit supérieur à la maladie qui le minait et au monde qui le rejetait.

La quête d’une identité (1853-1880)

Vincent Van Gogh est né le 30 mars 1853 à Groot Zundert, dans le Brabant, où son père Théodore exerçait la fonction de pasteur. Sa mère, Anna Cornelia Carbentus, était la fille d’un relieur de la cour. Aîné de six enfants – mais précédé par un autre garçon, prénommé lui aussi Vincent, qui ne vécut pas –, doué d’un tempérament de «rêveur», Van Gogh semble avoir connu, dans ce milieu digne et religieux, une jeunesse des plus moroses et souffert très tôt de graves problèmes d’identité: «Non seulement, rapporte sa sœur Elisabeth, ses proches étaient pour lui des étrangers, mais il était encore étranger à lui-même.» À seize ans, il doit par nécessité matérielle se mettre à travailler: grâce à l’un de ses oncles, il obtient d’abord un emploi de vendeur dans une galerie d’art de La Haye, propriété de la célèbre firme parisienne Goupil. Transféré à Bruxelles, puis à Londres, où il subit un premier échec amoureux, enfin à Paris, où il découvre le Louvre, l’œuvre de Corot et celui de Millet, il se désintéresse peu à peu de son travail, et, de retour en Angleterre en 1876, remet sa démission. C’est alors que, saisi par une sorte de fièvre humanitaire et mystique, il entame la phase la plus douloureuse de son existence: répétiteur dans une institution pauvre de Ramsgate, puis maître d’école et aide-prédicateur dans un faubourg de Londres, il est confronté à la misère et envisage alors de devenir pasteur. Après s’être essayé en vain aux études théologiques à Amsterdam (1877), il effectue un stage infructueux à l’école préparatoire évangéliste de Bruxelles (1878), puis, nanti tout de même d’une mission de six mois, se rend dans l’une des régions les plus déshéritées de la Belgique, le Borinage, pays des mineurs. Peu doué pour la prédication, mais charitable jusqu’au sacrifice, il reçoit un accueil mitigé de la population et est finalement désavoué par l’Église. Paradoxalement, si ce nouvel échec le laisse au bord du désespoir, il lui permet de découvrir enfin sa véritable vocation en le ramenant à la pratique du dessin («Je me suis dit, [...] je reprendrai mon crayon, et je me remettrai à dessiner, et dès lors à ce qui me semble tout a changé pour moi», Lettre à Théo , août 1880).

La période hollandaise (1881-1888)

Soutenu matériellement par Théo, employé de Goupil à Bruxelles puis à La Haye depuis 1873, Van Gogh commence son apprentissage en copiant des gravures sur bois et des lithographies, et en s’inspirant des œuvres de Millet, artiste pour lequel, jusqu’à la fin, il professa une véritablevénération. En 1881, à Etten, où résident ses parents, il dessine d’après nature des sujets paysans, des portraits et surtout des paysages d’une richesse calligraphique étonnante, déjà dignes de la grande tradition extrême-orientale à laquelle, par la suite, il devait se référer explicitement. Victime d’un second échec sentimental, en conflit déclaré avec son père qui finit par le chasser de la maison familiale, il s’installe provisoirement à La Haye, où il reçoit des leçons de peinture de son cousin Anton Mauve. Il pratique alors beaucoup l’aquarelle et étudie la perspective (Toitures , juill. 1882; coll. part., Paris). À tous égards, les vingt mois passés à La Haye (1882-1883) semblent décisifs pour l’artiste: sa liaison avec une prostituée, Sien, mère d’un enfant et enceinte d’un autre – image même à ses yeux du désespoir (Sorrow , mine de plomb, avr. 1882; coll. part., La Haye) –, manifeste clairement sa volonté de rompre avec les conventions de son milieu, et l’impossibilité morale dans laquelle il se trouve de mener une existence normale. Enfin, attestées par une correspondance plus fournie que jamais, de nombreuses lectures (découverte de Zola, reprise des grands romans de Balzac, Hugo et Dickens) viennent nourrir au même moment sa vision du monde, et le renforcer dans ses convictions sociales.

De septembre à décembre 1883, Vincent séjourne en solitaire dans la sombre province de Drenthe, au nord des Pays-Bas, où son acharnement à travailler pour accomplir sa destinée de peintre est le seul remède qu’il parvienne à opposer à un sentiment de détresse exaspéré par le départ de Sien («Je dois aller de l’avant quand même», écrit-il à Théo). Au terme de cette nouvelle expérience, il décide cependant de rejoindre sa famille installée depuis peu à Nuenen, et c’est dans ce petit village du Brabant que son talent va se confirmer de manière définitive: de puissantes études de paysans au travail, à la pierre noire, viennent alors attester sa maîtrise de dessinateur, tandis qu’à travers quelque deux cents tableaux (figures de paysans et d’artisans, paysages et natures mortes) à la palette sombre, aux coups de brosse expressifs, aux volumes accusés par un clair-obscur brutal (Les Mangeurs de pommes de terre , 1885; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam, et musée Kröller-Müller, Otterlo), il renoue, via Frans Hals et Rembrandt, avec la tradition du grand réalisme hollandais. Si techniquement l’œuvre pèche encore par bien des maladresses, la période de Nuenen est rachetée par une sincérité d’inspiration et une volonté de témoignage humain exemplaires, très révélatrices des idéaux de l’artiste comme de sa problématique intérieure.

Anvers et Paris (1885-1888)

Les séjours successifs à Anvers (nov. 1885-févr. 1886) et à Paris (févr. 1886-févr. 1888) constituent une double étape capitale pour l’évolution de Van Gogh. À Anvers tout d’abord, l’étude des œuvres de Rubens et la découverte des estampes japonaises – qu’il commence à collectionner dans cette ville – achèvent de lui révéler les ressources de la couleur, qualités déjà pressenties dans la familiarité des maîtres hollandais, mais plus encore peut-être au contact des Véronèse du Louvre, et des tableaux de Delacroix, lors de son premier passage à Paris en 1875. C’est aussi dans la capitale flamande que Van Gogh inaugure, sur le registre de l’humour macabre, sa fameuse série d’autoportraits (Tête de mort à la cigarette , Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam).

À cette époque, toutefois, seule la connaissance du milieu artistique parisien pouvait permettre à Vincent de renouveler véritablement sa vision: rappelons que l’année 1886, où il arrive à Paris, est celle de la dernière exposition impressionniste, et qu’en 1887 devait s’ouvrir la première rétrospective de l’œuvre de Millet.

Installé auprès de Théo qui dirige la succursale parisienne de Goupil depuis 1880, Van Gogh fréquente un moment l’académie du peintre Cormon, où il fait la connaissance de Toulouse-Lautrec, d’Anquetin et d’Émile Bernard. Par l’intermédiaire de son frère, il rencontre presque tous les impressionnistes, en particulier Seurat et Pissarro, ainsi que Gauguin. Dans la boutique du célèbre Père Tanguy, enfin, sous l’égide des œuvres de Cézanne, il se lie d’amitié avec Signac. Son art enregistre alors des progrès très rapides: dans un premier temps, l’admiration qu’il voue au Marseillais Monticelli, mort en 1886, l’amène à éclaircir son coloris pour peindre une série de petits tableaux de fleurs aux nuances rares (Cinéraires , automne 1886; musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam). Peu à peu, sous l’influence des estampes japonaises, ses compositions acquièrent davantage d’aisance et de liberté, en même temps qu’il s’essaye à la technique de l’aplat coloré (Nature morte aux citrons , 1887; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam). Parallèlement, grâce aux conseils de Pissarro qui l’initie au traitement divisionniste des tons et aux théories nouvelles sur la lumière, grâce également à Signac avec qui il travaille en 1887, sa palette s’enrichit de couleurs vives, sa touche s’anime et se fragmente – rejoignant parfois le graphisme de ses dessins: les vues de Montmartre et des environs de Paris qu’il exécute durant cette période tranchent sur le reste de son œuvre par une gaieté et une fraîcheur qui méritent d’être soulignées (Intérieur de restaurant , été 1887; musée Kröller-Müller, Otterlo).

Arles, Saint-Rémy et Auvers: le grand Van Gogh (1888-1890)

Si l’annonce du prochain mariage de Théo – ressenti comme une sorte d’abandon – semble bien la raison profonde qui décida Van Gogh à quitter Paris, d’autres motivations, d’ordre pictural celles-là, plaidaient depuis quelque temps déjà en faveur de cet éloignement: les dernières œuvres de la période parisienne, tels Les Livres jaunes (automne 1887; coll. part., Suisse) ou encore l’Autoportrait au chevalet (début 1888; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam), montrent en effet que l’artiste commençait à prendre ses distances vis-à-vis du système impressionniste, trop allusif à son goût, pour reconquérir l’unité structurelle de l’image et se concentrer sur les virtualités expressives et symboliques de la forme et de la couleur.

Le séjour à Arles (févr. 1888-mai 1889) est pour Vincent l’occasion d’une découverte essentielle: celle de l’éblouissement solaire du Midi, qui, en imposant à sa palette une plus grande intensité de tons et en lui suggérant des accords chromatiques d’une puissance inédite, va transmuer toutes les données de son art. Même le graphisme de ses dessins, parvenu à une maîtrise supérieure, trouve alors des accents nouveaux pour transcrire la vibration colorée et lumineuse des apparences sensibles. Confondue, pour ainsi dire, avec la lumière, la couleur, qui est aussi matière, confère aux êtres et aux choses un surcroît de présence et de réalité, en même temps qu’elle met en évidence leur dimension spirituelle: à l’harmonie souveraine du jaune et du bleu dans La Plaine de la Crau (juin 1888; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam), image de prospérité et de quiétude, véritable chant apollinien d’une rigueur toute classique, aux accords stridents mais tempérés par de grandes plages de noir et de vert de L’Arlésienne (nov. 1888; Metropolitan Museum, New York), on opposera par exemple la fulgurance des tons dans Terrasse de café, la nuit (sept. 1888; musée Kröller-Müller, Otterlo), où s’expriment un délire et une angoisse poignants, voire l’ivresse chaotique des rouges et des verts dans Le Café de nuit (sept. 1888; Yale University Art Gallery, New Haven). Cette fascination de la couleur, que d’aucuns ont pu interpréter comme une sorte de défi suicidaire lancé par le peintre à l’astre qui illumine et brûle, culmine au cœur de l’été de 1888, dans les différentes versions des Tournesols (Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam; National Gallery, Londres, etc.), où la «haute note jaune», si caractéristique de la production arlésienne, mobilise et embrase tout le champ du tableau. L’exaltation et la tension permanentes qu’impliquent une telle démarche créatrice et une telle urgence de peindre devaient fatalement déboucher sur une crise: le 24 décembre 1888, à l’issue d’une violente querelle avec Gauguin, venu le rejoindre au début de l’automne, Van Gogh tente de tuer son compagnon, puis, pour s’auto-punir, se mutile l’oreille gauche. Outre qu’il fait apparaître au grand jour la différence fondamentale de tempérament qui sépare les deux hommes, ce conflit entérine pour Vincent la fin d’un vieux rêve fusionnel de communauté artistique, et le renvoie du même coup à sa solitude.

En mars 1889, après une période de répit durant laquelle il peint entre autres l’Autoportrait à l’oreille coupée (janv. 1889; Courtauld Institute, Londres), une pétition des habitants d’Arles entraîne son internement à l’Hôtel-Dieu. Deux mois plus tard, hanté par l’idée du suicide, mais pleinement conscient du mal qui le ronge, il prend lui-même la décision de se faire soigner à l’hospice de Saint-Rémy-de-Provence. D’accès de dépression en phases de rémission et d’activité intense, son style connaît de nouveau des modifications sensibles: au flamboiement du coloris arlésien succède, en effet, dans d’admirables dessins à l’encre et au roseau, et dans des toiles convulsives d’une gamme moins sonore, celui du graphisme et de la touche dont les traits discontinus et sinueux impriment aux oliviers, aux champs de blé et à la voûte céleste des Alpilles et des Baux les mouvements mêmes de la folie (La Nuit étoilée , juin 1889; Museum of Modern Art, New York). Ce temps est aussi celui où Van Gogh commence à sortir de l’anonymat: en janvier 1890 un article d’Albert Aurier, paru dans le Mercure de France , souligne pour la première fois l’importance de ses recherches, et, un mois plus tard, l’un de ses tableaux, La Vigne rouge , exposé au Salon des XX à Bruxelles, est acquis pour 400 francs par le peintre Anna Boch.

Revenu à Paris en mai, pour voir Théo, sa femme et leur fils nouveau-né, Van Gogh est accueilli quelques jours plus tard à Auvers-sur-Oise par le Dr Gachet, ami de Cézanne et des impressionnistes. Le climat paisible des lieux et l’affection qui l’entoure lui permettent de se consacrer une fois encore à ses thèmes de prédilection: portraits et paysages. Si sa touche demeure fébrile et mouvementée, son coloris acquiert, sous la lumière d’Île-de-France, un regain de vivacité et de fraîcheur (L’Escalier d’Auvers , juin 1890; Saint Louis City Art Museum). La trève est cependant de courte durée: lorsque Théo lui fait part de son désir de rejoindre la Hollande, Vincent se sent de nouveau abandonné; sa vision, tout à coup, devient confuse, l’identité même de ses sujets se perd (Le Champ de blé aux corbeaux , juill. 1890; Rijksmuseum V. Van Gogh, Amsterdam). Le 27 juillet, égaré dans les champs, il se tire une balle en pleine poitrine. Il meurt le 29 juillet.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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